LE Temperament consiste à changer la juste proportion d'un Intervale, sans donner atteinte à la satisfaction que l'Oreille doit en recevoir.
Ce Temperament est absolument necessaire dans la Partition des Orgues et des Clavecins: Les Musiciens de pratique l'observent, même assez regulierement, sans autre secours que celuy de l'oreille;
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aucun des nôtres n'a encore expliqué, ny donné la raison pourquoy ce Temperament est dans les Cordes, le plus parfait de tous, lors qu'on diminuë la Quinte, de la quatriéme partie d'un Comma.
Nous devons à Monsieur Sauveur l'etablissement d'un Systême qui donne tous les Temperaments possibles: Mais il y manque encore, ce qui a également échapé aux autres, c'est à dire, de fixer le veritable Temperament, et de le fonder sur des raisons convaincantes.
Pour pouvoir établir un Temperament qui ne souffre aucune difficulté, nous devons avoir égard à trois choses; A l'experience des Cordes, aux raisons marquées par les nombres, et à l'habitude où l'on est d'accorder les Clavecins.
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A l'égard de la Partition des Clavecins, on est dans l'habitude d'y affoiblir un tant soit peu les premieres Quintes; et après la quatriéme Quinte accordée, on la compare, pour la preuve, au Son par lequel la Partition a été commencée, et dont elle doit former la Tierce majeure; desorte que si l'on n'y trouve pas cette Tierce majeure dans la justesse que demande l'oreille, on recommence de nouveau la Partition, en y affoiblissant un peu plus les Quintes: car le défaut de justesse qu'on sent pour lors dans la Tierce majeure, vient presque toûjours de ce qu'on n'avoit pas assez affoibli les Quintes.
Cette habitude qui n'a encore été determinée que sur des observations de simple pratique,
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Lorsqu'on est arrivé au milieu de la Partition, on rend les Quintes un peu plus justes, et cela de plus en plus jusqu'à la derniere, pour des raisons que la suite nous apprendra.
(...) Une longue experience a fait sentir le point de ce (p.109) Temperament, et les Progressions proposées vont nous le faire découvrir.
Suivez la Progression triple depuis Ut jusqu'à Si#.c, vous y trouverez que ce Si#.c qui doit nous donner un Son égal à Ut sur le Clavecin, le surpasse cependant du Comma maxime. Or, s'il ne s'agissoit simplement que de ramener ce Si#.c à l'Unisson ou a l'une des Octaves d'Ut par un Temperament proportionnel à chacune des Quintes depuis Ut jusqu'à ce Si#.c; il n'y auroit pour lors qu'à diviser le Comma en question, en autant de parties égales qu'il y a de Quintes depuis Ut jusqu'à Si#c, pour diminuer ensuite chaque Quinte de l'une de ces parties
du Comma. Mais, comme il faut absolument que la quatriéme Quinte fasse la Tierce majeure juste avec le premier Son donné, cette diminution n'y suffiroit pas; et nous devons prendre d'autres mesures pour arriver à nôtre but.
Puisque Mi.a/81 qui fait la quatriéme Quinte après Ut dans la premiere colonne, surpasse d'un Comma majeur le Mi./5. de la deuxiéme colonne qui fait la Tierce majeure de cet Ut; et puisqu'il faut absolument ramener ce Mi de 81. à 5. pour qu'il fasse la Tierce majeure juste avec Ut; il n'y a qu'à diminuer chaque Quinte du quart de ce Comma; et pour lors ce quart de moins sur chaque Quinte, rendra Mi moindre du Comma entier; puisque faisant la quatriéme Quinte après Ut, et participant de la diminution des trois Quintes qui le precedent, il aura pour lors quatre quarts de Comma de moins, c'est à dire, un Comma de moins: Ainsi, de 81 il sera reduit à 80. ou à 5., faisant une Quinte suffisamment juste avec La, et la Tierce majeure juste avec Ut.
Par cette diminution des Quintes, nous nous conformons à nos remarques sur l'experience des Cordes, sur les raisons tirées des Nombres, et sur l'Habitude où l'on est d'accorder les Clavecins:
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Mais il s'agit encore de sçavoir pourquoy on rend les Quintes un peu plus justes lorsqu'on est arrivé au milieu de la Partition.
Si l'on poursuivoit la diminution proposée jusqu'à la douziéme Quinte, on arriveroit pour lors au Si#/125. qui est moindre qu'Ut d'un Dieze majeur: car selon l'ordre de la Table des Progressions, si après avoir reduit le Mi.a de la premiere colonne au Mi de la deuxiéme colonne, on continuë la même diminution des Quintes, le Sol#.a de cette deuxiéme colonne sera reduit au Sol#. de la troisiéme colonne, et par la même raison le Si#.a de cette troisiéme colonne sera reduit au Si#. de la quatriéme colonne; (p.110) si bien qu'au lieu de trouver à la douziéme Quinte un Son égal à Ut, on y en trouveroit un moindre d'un Dieze majeur: c'est pourquoy on ne peut se dispenser de rendre les Quintes un peu plus justes lorsqu'on est au milieu de la Partition, pour pouvoir regagner sur les dernieres, ce qu'on a perdu de trop sur les premieres.
Il n'y a que le Comma maxime de trop entre l'Ut et le Si#.c de la premiere colonne, au lieu qu'il y a le Comma majeur et le mineur de moins entre le même Ut et le Si#. de la quatriéme colonne. Or, par la diminution des Quintes d'un quart du Comma majeur, on a déja le maxime et le mineur de moins, lorsqu'on est arrivé au Sol#. de la troisiéme colonne: Ainsi l'on ne peut se dispenser de rendre les Quintes plus justes depuis ce Sol#. jusqu'à la fin, pour regagner le Comma mineur qu'on a perdu de trop.
Il ne faut pas attendre qu'on soit arrivé au Sol#. pour rendre les Quintes un peu plus justes, et l'on doit s'y prendre dès la Quinte d'Ut#. à Sol#. (supposé qu'on ait commencé la Partition par Ut) pour qu'on ait moins à regagner sur les Quintes suivantes; et par ce moyen, les dernieres Tierces majeures en souffrent beaucoup moins; quoy qu'on ne puisse se dispenser de les rendre pour lors un peu trop fortes, non plus que les deux dernieres Quintes.
L'excès des deux dernieres Quintes et des quatre ou cinq dernieres Tierces majeures est tolerable, non seulement parce qu il est presqu'insensible, mais encore parce qu'il se trouve dans des Modulations peu usitées; excepté qu'on ne les choisisse exprès pour rendre l'expression plus dure, et cetera. Car il est bon de remarquer que nous recevons des impressions differentes des intervales, à proportion de leur differente alteration: Par exemple, la Tierce majeure qui nous excite naturellement à la joye, selon ce que nous en éprouvons, nous imprime jusqu'à des idées de fureur, lors qu'elle est trop forte; et la Tierce mineure qui nous porte naturellement à la douceur et à la tendresse, nous attriste lors qu'elle est trop foible.
Les habiles Musiciens sçavent profiter à propos de ces differens effets des Intervales, et font valoir par l'expression qu'ils en tirent, l'alteration qu'on pourroit y condamner.
Pour que les Intervales conservent toute la justesse possible dans les Modulations les plus usitées, il faut commencer la Partition par Si B-mol et ne rendre pour lors les Quintes un peu plus justes, que depuis Si à Fa#.